miércoles, 9 de marzo de 2016

LA INTERDEPENDENCIA DE LAS DECISIONES.SAPIR (I)


L’interdépendance des décisions 20 ans après

En 1996 eut lieu un important colloque réunissant les tenants de l’Ecole de la Régulation (essentiellement mais pas uniquement français) et les confrontant aux tenants d’une autre école, celle dite des « conventions ». Ce colloque avait pour objet la question de l’interdépendance des niveaux de décision, question centrale pour qui cherche à comprendre la formation de la décision économique et qui ne croit pas en un principe de rationalité absolue transformant les individus humains en automates. Les débats de ce colloque donnèrent naissance à un ouvrage collectif, publiée sous la direction de Mme Annie Vinokur, professeur d’économie à l’université de Nanterre-Paris 10[1]. Ma contribution au débat et à cet ouvrage a marqué le début de ma prise de distance avec l’Ecole de Régulation, ou plus précisément avec l’évolution de certains de ses fondateurs (Robert Boyer, Michel Aglietta entre autres) dont j’estimais (et j’estime toujours) qu’ils se fourvoyaient. Mais, d’autres peuvent penser, bien évidemment, le contraire.
Les textes de ce colloque ont aujourd’hui vingt ans. C’est l’âge ou il convient de les relire pour mesurer le chemin pris et parcouru par les uns et les autres, et tenter d’en tirer un premier bilan. C’est la raison qui me pousse à republier ma contribution, pour la soumettre à débat. Le texte étant long, cette republication prendra la forme de trois notes successives. Mais, l’intégralité des sources bibliographiques sera redonnée à la fin de chacune de ces notes.
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Théorie de la Régulation, Conventions, Institutions
et
Approches Hétérodoxes de

l’Interdépendance des Niveaux de Décision


L’interdépendance des niveaux de décision constitue une dimension centrale de toute réflexion sur l’organisation des activités et des sociétés humaines. En tant que telle, elle représente un terrain privilégié pour un dialogue interdisciplinaire qui serait conçu comme un « échange réciproque d’objections » entre les disciplines (Lepetit, 1996, 1995b). Pour autant, l’extension que l’on donne à cette question peut fortement varier en fonction des fondements théoriques que l’on se donne.

0. De quoi parle-t-on.

Depuis le texte fondateur de K. Arrow, le paradigme de la relation Principal/Agent est bien ancré dans l’esprit des économistes (Arrow, 1976) et constitue la première dimension de l’interdépendance des niveaux de décision. Pourtant, on constate rapidement que la vision traditionnelle de la hiérarchie et de l’opposition organisation/marché est pour le moins rapide (Favereau, 1989; Stiglitz, 1991), mais aussi que celle d’une simple opposition verticale entre niveaux de décisions, est pour le moins simpliste (Chavance, 1995; Sapir, 1990).
On est donc porté à considérer une seconde dimension, celle de la transformation des décisions individuelles en des décisions collectives, dans des formes non-autoritaires; ici encore, on rencontre K. Arrow, et en particulier son travail sur les choix collectifs (Arrow, 1951). Cette dimension par contre est déjà loin de faire l’unanimité; un certain nombre d’auteurs ont reproché à Arrow la notion de rationalité collective qu’il emploie, au nom d’une vision extrême de l’individualisme méthodologique (Buchanan, 1954; Buchanan et Tullock, 1962). Une troisième dimension concerne les interdépendances entre des niveaux parallèles de décision, ce que l’on appellera ici l’interdépendance latérale.
Soit en effet une catégorie d’agents « a » ( de a1 à an) engagés dans des interactions avec des agents « b » ( de b1 à bn); on suppose les agents de chaque catégorie comparables mais non similaires, au sens où ils peuvent avoir une intelligence de leurs capacités réciproques mais sans certitude sur leurs comportements. Les agents de ces deux catégories sont engagés dans des interactions réciproques de classe « x » ( de x1 à xn); il y a interdépendance latérale si l’agent ai a besoin de connaître le résultat d’une interaction de la classe x, et la position résultante de l’agent aj avant de prendre sa décision ou si sa décision (ou le résultat de son interaction) dépend directement du résultat de l’autre interaction.
Ce type d’interdépendance est nié par tout schéma d’équilibre général, car en ce cas les transactions sont simultanées (de Vroey, 1987). Les individus sont en réalités des automates. L’idée que la concurrence puisse concerner avant tout des agents engagés dans la même activité et non des agents potentiellement complémentaires est une conclusion logique des travaux sur l’information imparfaite (Stiglitz, 1991, p.20). L’importance des complémentarités, en particulier quand les informations qui doivent circuler sont complexes, tacites et par là appropriables comme c’est le cas dans l’industrie, invite à penser des formes de relations qui ne sont ni le marché ni la hiérarchie (Sapir, 1993). La question est d’autant plus délicate que le courant néo-institutionnaliste ne reconnaît pas les réseaux comme des formes stabilisées (Williamson, 1985). Pour lui, la présence de fortes complémentarités est un argument en faveur de la hiérarchie (Joskow et Schmallensee, 1983). Cette position s’aveugle sur la vitalité, mais aussi la complexité des formes en réseau. Au-delà, si on adopte un point de vue subjectiviste, qui pourrait caractériser tout autant les économistes Post-Keynésiens que Néo-Autrichiens (Dow, 1990; O’Driscoll et Rizzo, 1985; Shackle, 1969), alors la question de l’interdépendance de niveaux latéraux devient cruciale, et ne peut se réduire au problème de la coordination.

On prendra en compte ici ces trois dimensions de l’interdépendance, en adoptant simultanément deux points de vue. On se réclamera ici du subjectivisme, au sens non de la négation de « réalités objectives », mais dans celui de la prise en compte de la nature irréductiblement subjective de la décision. La part de la subjectivité individuelle (et collective) dans toute décision est en réalité première. Le Paradoxe de Shackle qui fut formulé à la fin des années 1940 par ce grand économiste injustement oublié (la décentralisation de la décision induit l’incertitude endogène, mais cette dernière paralyse la décision décentralisée) devient dès lors un point de départ qui peut être commun à divers courants, même si les réponses sont susceptibles d’être différentes (Shackle, 1969). Dans cette démarche, la convergence des anticipations comme la convergence des représentations des états du monde représentent à la fois une condition au bon fonctionnement de l’économie mais aussi une conséquence d’un fonctionnement harmonieux. Shackle adopte, sans le savoir, une position qui fait de la dialectique entre la convergence des représentations et l’état de l’économie, un point central du raisonnement.
Un second point de vue adopté ici est celui du réalisme, opposé à l’instrumentalisme d’une partie du courant standard (Mäki, 1988). On reprend alors la distinction entre le « réalisme par rapport au monde » (ou World realism), qui implique qu’une théorie économique ait pour objet la compréhension du monde tel qu’il est (et non tel que l’on souhaiterait qu’il fût), et le « réalisme de vérité » (ou Truth realism). Ceci implique que l’on juge d’une théorie dans sa confrontation au monde et pas seulement sur ses critères de cohérence interne ou de conformité aux axiomes initiaux; les stratégies purement axiomatiques n’ont souvent d’autre but que d’immuniser celui qui les emploie contre les rencontres dérangeantes avec le monde réel (Brochier, 1994). Ce critère peut donner lieu à une dérive positiviste (Dow, 1990), qui doit être corrigée par l’introduction de la notion de en contexte, intégrant donc non seulement les institutions, mais aussi l’état des sciences et techniques et surtout l’ensemble des représentations que les acteurs ont, et d’eux-mêmes et des autres, et de leur position propre et du monde dans lequel ils se meuvent, la notion de « monde » peut être nettoyée de scories positivistes. On peut se prémunir contre le positivisme en suivant Lawson (Lawson, 1989), qui oppose, à l’intérieur du critère de « réalisme de vérité », la vérification à partir d’événement et celle sur la base d’une explicitation des processus, et donc des relations causales, qui ont donné naissance aux événements. La notion de processus, et surtout de procès, qui est au cœur de l’approche de Marx d’ailleurs tout comme elle est aussi centrale chez Keynes (Carabelli, 1988; Fitzgibbons, 1988), est méthodologiquement capitale. On ajoutera cependant que la détermination du processus ne peut être le seul critère de validation d’une théorie; il faut y ajouter les modes de construction (et leur critique) du processus dans cette théorie (Callon, 1989).

Enfin, on se propose ici d’intervenir à partir de la mise en miroir de deux couples de registres. La première confrontation met en scène une approche économique qui s’est fondée dès son origine sur un rejet des hypothèses de la théorie dominante, la Théorie de la Régulation, et des recherches historiques récentes qui explicitement posent le problème des conventions et des institutions. La seconde confrontation, simultanée, concerne celle entre le domaine de l’économie et celui de la pensée militaire. En effet, la double séparation des niveaux de décision, à la fois verticale et latérale, caractérise les armées depuis la période moderne, et l’interdépendance des décisions est au coeur du problème du commandement (van Creveld, 1985). En même temps, l’analyse des économies de type soviétiques a montré l’importance de la question des niveaux de décision tout comme elle a mis à jour le fait que les modèles hiérarchiques simples étaient incapables de rendre compte de la nature réelle des processus d’interdépendance (Chavance, 1995; Sapir, 1989, 1990). La transformation systémique que ces économies connaissent depuis 1989 met aussi en lumière de nouveaux aspects de l’interdépendance des niveaux de décision, que ce soit dans une logique des relations entre centre et régions (Hausner et alii, 1995; Sapir, 1995a) ou dans celle d’une interpénétration toujours plus complexe des agents privés et publics définissant de nouvelles configurations de ce que l’on a appelé plus haut l’interdépendance latérale (Chavance et Magnin, 1995).

I. L’interdépendance des niveaux de décision dans une perspective hétérodoxe: Un bilan de la Théorie de la Régulation

On ne peut se réclamer d’une démarche théorique sans jeter un regard sur son évolution. Dans le cas de la Théorie de la Régulation, c’est une nécessité d’autant plus impérative que le mode de constitution de cette démarche, une lecture d’emblée globale des trajectoires économiques et institutionnelles des économies modernes, laissait dans l’implicite un certain nombre d’hypothèses quant aux relations entre agents et entre niveaux de décision. Le déploiement progressif du programme de recherches de cette théorie impliquait l’explicitation progressive de certaines hypothèses, et par là une confrontation avec d’autres champs théoriques.

I.I. Que reste-t-il de nos amours? Ou : quelle pertinence d’une référence à la Théorie de la Régulation.

On est ici en présence d’une démarche et d’un programme de recherches constitués sur le double refus du paradigme de l’équilibre et de celui de l’homogénéité des agents[2]. Pour autant, ce qui est naturel à première vue cesse de l’être si on considère les débats qui agitent ceux qui se réclament de l’hétérodoxie en économie, et s’interroger sur la pertinence de cette référence se justifie si on considère qu’elle a perdu, avec le temps, de son aiguisement critique.
Les vingt ans de la Théorie de la Régulation, on prend ici pour repère l’ouvrage fondateur de M. Aglietta (1976), sont tout autant un age de bilan et un age de doutes. A l’aune du nombre des publications, ou de l’implantation institutionnelle, le bilan est certainement positif (Boyer, 1995a). On peut alors légitimement considérer qu’il y a affirmation et enrichissement du programme de recherches (Boyer, 1995b / Boyer et Saillard, 1995b). En même temps, se développent des doutes quant à la cohérence théorique de ce que l’on englobe sous le nom de Théorie de la Régulation; le bilan est alors négatif avec un reproche explicite de manque de rigueur théorique et de conversion à un syncrétisme néo-institutionnaliste où se perdrait l’originalité initiale de la démarche, qu’il soit tiré par certains des membres de ce courant (Lipietz, 1995) ou par des observateurs extérieurs (Combemale, 1994).
Au-delà de désaccords naturels quant aux directions prises par une démarche dans laquelle se reconnaissent désormais un nombre croissant de chercheurs, avec ce que cela implique comme hétérogénéité par rapport au groupe initial, la question de l’éclectisme théorique peut légitimement être soulevée. On la retrouve aussi chez les Post-Keynésiens (Dow, 1990; Hamouda et Harcourt, 1988; Carabelli, 1988). L’éclectisme peut, d’ailleurs, être ouvertement revendiqué, comme c’est le cas pour le courant Post-Keynesien d’après S. Dow qui soutient que l’unité d’une approche ne provient pas de ses méthodes qui doivent être diverses (Dow, 1990, p. 353), mais de la vision globale qui les unit (Dow, 1990, p. 356). Cette vision globale, dans le cas des Post-Keynesiens, est alors directement politique. S’inspirant directement de G.C. Harcourt, (Harcourt, 1986), c’est un projet de compréhension globale de la société et de sa transformation qui est proposé.
Cette position est inopérante pour une discussion sur les approches économiques. Si la diversité des recherches, des thèmes et des méthodes, est à l’évidence le signe d’une vigueur intellectuelle d’un courant scientifique, la question de l’éclectisme, et en particulier de la compatibilité réciproque des méthodes, ne peut être éludée. La Théorie de la Régulation était vulnérable à une critique portant sur la discontinuité du raisonnement entre les niveaux micro et macro. Cette critique fut ressentie au fur et à mesure que les références à l’althussérisme et à un marxisme structuraliste (avec la notion de procès sans sujet), références fondamentales à l’origine (Lipietz, 1995), étaient abandonnées. La mobilisation d’une anthropologie de la violence d’origine chrétienne inspirée de R. Girard a constitué une solution de repli (Aglietta et Orléan, 1982). Le dialogue avec l’École des Conventions en fut une autre. Dans les deux cas, il n’est pas sur que les effets à long terme de ces solutions aient été pleinement mesurés.
Le rapport à l’institutionnalisme est ici clairement un enjeu important. L’institutionnalisme historique, dans la lignée d’un Veblen ou d’un Commons, est une démarche ouvertement holiste, qui possède de multiples relations avec la théorie des groupes d’intérêt de A. Bentley et de D. Truman. Pour A. Bentley en particulier l’action humaine ne se comprend qu’à partir de la triade groupe-intérêt-activité (Bentley, 1949). D. Truman a pour sa part largement insisté sur le rôle de la complexité et des tensions internes aux sociétés modernes dans l’émergence d’une nécessité de l’action collective (Truman, 1952). Le lien entre ces auteurs et Commons peut se faire à partir du rôle dans l’élaboration de ces approches de la philosophie pragmatique de Dewey (Dewey, 1963). Les critiques à ces courants sont connues: manque de rigueur théorique et parti-pris descriptif (Langlois, 1988), ainsi que refus de prendre en compte l’individualisme méthodologique (Olson, 1965). En fait, seule la première critique est réellement pertinente. On peut constater qu’un auteur n’opère pas à l’intérieur des paradigmes que l’on reconnaît, mais lui en faire reproche d’un point de vue théorique n’a de sens que si le paradigme est testable. Or, pour Olson, l’individualisme méthodologique est un point de départ affirmé et jamais soumis à vérification empirique; il ne constitue nullement une conjecture testable. Le rapport à l’institutionnalisme couvre donc, pour un régulationniste conséquent, la question de son rapport au holisme ou à l’individualisme méthodologique (Villeval, 1995). Il y a pour autant une « dureté » théorique non négligeable dans l’institutionnalisme, en particulier autour de la définition donnée par Commons de la « transaction » (Commons, 1934). Cette « dureté » permet de mieux comprendre que le courant institutionnaliste issu de la théorie des coûts de transaction, et que l’on appelle ici le néo-institutionalisme[3] est en réalité une approche complètement différente (Ramstad, 1996).
Avec le recul il apparaît aujourd’hui que la question de ce qui est intégrable et ce qui ne l’est point mérite à l’évidence d’être posée. Ce d’autant plus que l’on persiste à croire que la Théorie de la Régulation propose un cadre d’analyse qui est particulièrement bien adapté à penser l’économie de sociétés hétérogènes et stratifiées, où l’interdépendance des niveaux de décision est une dimension fondamentale de l’intelligence des interactions.

I.2. Questions à une Économie Politique de l’économie décentralisée
On part ici de deux constats: d’une part la Théorie de la Régulation doit être classée dans ce que l’on appelle au sens large l’Économie Politique, d’autre part, son objet et de penser une économie décentralisée, au sens d’un système où la globalisation des actions initiées par des individus ou des collectifs ne peut être qu’ex-post et donc nécessairement aléatoire (Aglietta, 1982). C’est bien à dessein que l’on utilise ici la notion d’économie décentralisée afin de bien expliciter le refus du cadre de l’équilibre général (de Vroey, 1987). Outre son caractère implicitement normatif, le terme d’économie de marché est trompeur d’un point de vue descriptif quand on l’applique aux économies occidentales. Ces dernières sont en réalité régies par des combinaisons, historiquement et géographiquement variables, de marché, d’organisation, de réseau et de commandement. La notion d’économie capitaliste soulève un problème plus subtil si on l’utilise en opposition aux anciennes économies de type soviétique. Si on adopte le critère de la forme de propriété (Nove, 1983) outre que ceci est contradictoire par exemple à un certain nombre d’écrits des « pères fondateurs » (comme montré dans Chavance, 1980), on est alors confronté lors des évolutions qui historiquement se sont déroulées au sein même de ces économies à de délicats problèmes de seuil. Si on fétichise certaines situations des économies réputées capitalistes (un fort taux de chômage, ajustements censés se produire par les prix, finance libéralisée), au mieux on construit un modèle d’économie capitaliste qui ne s’applique qu’à très peu de pays, au pire on s’aveugle complètement sur les fonctionnements réels des économies réellement existantes, occidentales ou de type soviétique (Andreff, 1978, 1984; Bensimon, 1996). Les hypothèses normatives adoptées dans ce type de démarche ont un coût exorbitant en terme d’intelligence des économies réelles (Chavance 1984, 1995; Sapir, 1989, 1990). On adopte ici l’idée qu’est capitaliste une économie connaissant la double séparation entre les moyens de production et les travailleurs et entre les producteurs (Bettelheim, 1970).
Le couple indépendance de la décision des acteurs/interdépendance des effets de ces décisions, permet alors de penser un nombre considérable de systèmes économiques réels ou potentiels en mettant au premier plan la question de l’incertitude radicale qui caractérise les processus de production, consommation et répartition qui sont dépendants de prévisions faites ex-ante par des acteurs individuels et des effets ex-post des décisions prises sur la base de ces prévisions. Tout programme de recherches qui s’inscrit dans cette perspective doit alors répondre à cinq questions, avant de pouvoir s’attaquer de manière efficace à l’analyse des interdépendances des niveaux de décision.

  • 1/ La première concerne l’intelligibilité du monde économique. Si on suit T. Lawson (Lawson, 1989), quant à l’importance du processus face à l’événement, il est clair que cette intelligibilité ne peut être qu’indirecte. Ceci n’épuise pas la question. On doit encore se demander si une intelligibilité totale est possible ou si l’économie est irréductiblement condamnée à une seule intelligibilité partielle des processus. Suivant les réponses, on est confronté à des visions différentes de l’origine de l’incertitude (endogène ou exogène), et donc à un jugement sur les capacités prédictives de l’économie. Cette question a des implications importantes pour notre objet. Une intelligibilité directe de l’économie supposerait une non-pertinence de l’interdépendance des niveaux de décision (elle existe mais peut ne pas être prise en compte pour rendre compte des mouvements réels). Une intelligibilité totale, même si indirecte, impliquerait quant à elle qu’il existe une norme de référence de cette interdépendance, norme modélisable et par rapport à laquelle on pourrait évaluer les effets des structures d’interdépendance réellement existantes. A contrario, supposer une intelligibilité partielle signifierait que l’on considère que les conditions d’opération des formes d’interdépendance à un moment donné engendrent les mouvements qui font évoluer dans le temps et l’espace les structures réellement existantes.
  • 2/ Une seconde question concerne alors les modèles de comportement des individus et les mécanismes de prise de la décision. La rationalité procédurale est une réponse convaincante au problème des capacités limitées de traitement des signaux (Conlisk, 1996); elle ne nous dit cependant rien sur la nature des préférences d’un individu ni sur la manière dont ces préférences s’organisent entre elles et dans le temps. Ce qui ici est en jeu est la vision que l’on peut avoir des relations entre l’individu et le collectif, mais aussi celle des processus d’apprentissage ou d’imitation comme démarches d’acquisition et de transmission des connaissances. Ceci implique de discuter des hypothèses de cohérence et d’invariance des préférences (Arrow, 1951, 1982), mais aussi celles de stabilité des préférences dans le temps (March, 1979), de monotonie temporelle de l’utilité d’un épisode et d’intégration temporelle de cette utilité qui sont à la base de la vision utilitariste (Parfit, 1984). Ce point est essentiel pour évaluer la position du couple individu-collectif dans la mise en œuvre des interdépendances de niveau de décision. A partir de là, le rôle des mécanismes d’imitation et d’apprentissage peut être évalué à son tour.
  • 3/ Les réponses fournies à la seconde question introduisent la troisième, à savoir la nature de la relation entre la conjoncture et le contexte. De ce point de vue, une démarche cohérente en économie doit préciser sa position face à la thèse de E. Labrousse selon qui « les économies ont la conjoncture de leurs structures » (Labrousse, 1933). De là découlent diverses positions possibles quant à l’opérationalité de la notion d’équilibre, voire de sa complète révocation. On doit aussi définir ce que l’on appelle contexte (ou structures dans la citation de Labrousse). Va-t-on se limiter aux institutions de l’économie, et en ce cas il faut préciser ce que recouvre le terme institution, ou y intégrer d’autres éléments, certains techniques et d’autres politiques et organisationnels. Cette question souligne le rôle que l’on entend faire jouer à l’évolution historique des structures d’interdépendance des niveaux de décision dans la transformation des dynamiques économiques et sociales. En un sens, ceci revient à poser à nouveau la question de l’importance de ces structures pour l’analyse économique.
  • 4/ Introduire la notion de contexte conduit alors à s’interroger sur leurs modes d’engendrement. Cette question est au cœur d’un débat majeur, celui qui oppose le spontanéisme au constructivisme et qui découle des critiques portées par la tradition autrichienne, de Mises à Hayek, à la fois contre la planification centralisée et les modèles de type néoclassiques. Elle est directement liée à l’interprétation que l’on donne du phénomène de l’apprentissage et des routines, dont l’importance a été justement soulignée par le courant évolutionnaire (Nelson et Winter, 1982; Nelson 1995), ce qui nous renvoie directement à la nature des réponses données à la seconde question. L’opposition entre constructivisme et spontanéisme est alors tout à fait fondamentale pour aborder le problème de la légitimité (ou non) d’une action sur les structures d’interdépendance à un moment donné.
  • 5/ Enfin, on doit considérer la question sur la nature du temps mis en œuvre dans l’économie, et sur l’importance des notions de durée et de temporalité. A cet égard, l’opposition entre une vision newtonienne du temps où ce dernier est assimilé à une succession de segments et donc considéré comme homogène, continu et causalement inerte ou non-newtonienne du temps, où au contraire on prend en compte une continuité dynamique, une hétérogénéité et une efficacité causale du temps, est cruciale (Capek, 1961; Shackle, 1969; O’Driscoll et Rizzo, 1985). Ici, ce qui est en cause n’est autre que la forme d’opération des structures d’interdépendance des niveaux de décision. Est-on en présence d’une interdépendance en temps simultané, et potentiellement réversible, ou au contraire est-on en présence d’une interdépendance en temps séquentiel et irréversible. Un exemple très ancien de ce problème est fourni par « l’effet Cantillon » et son explication du lien entre monnaie et inflation (Cantillon, 1952).

Ces différentes questions ont en commun de s’attaquer aux problèmes de la décision dans un univers incertain, et composé d’agents différenciés et hiérarchisés. Les décisions sont prises par des acteurs humains qui ont des préférences, et font des anticipations. Ces dernières sont cependant insérées dans des contextes dont il faut discuter l’impact sur les décisions, mais aussi les modes d’émergence, de stabilité et de renouvellement. Enfin, les décisions s’inscrivent dans le temps; il y a des vision du monde ex-ante et des visions ex-post , distinction qui fut introduite par G. Myrdal (Myrdal, 1939), et la comparaison entre les deux induit des mécanismes de rétroaction qui influent sur les nouvelles décisions par le biais des surprises, bonnes ou mauvaises (Shackle, 1982). L’économie retrouve ici des interrogations qui ont été développées en histoire, en particulier sur la signification de la tension entre un espace d’expérience (le monde ex-post) et un horizon d’attente, tension qui sert à définir différents régimes d’historicité (Kosellek, 1990).

I.3. La Théorie de la Régulation, son voisinage et ses cousinages.
En ce qui concerne la première des cinq questions énoncées ci-dessus, il est évident que pour toute démarche entrant dans la catégorie du « réalisme de vérité par le processus » (Process truth realism), l’intelligibilité du monde économique ne peut être qu’indirecte. A cet égard, l’importance des processus historiques dans les différents textes régulationnistes est bien connue et ne nécessite pas qu’on y revienne. On trouve par ailleurs une même réfutation du fait directement lisible, tant chez Hayek, que dans les écrits des neo-autrichiens (Foss, 1994; O’Driscoll et Rizzo, 1985; Shackle, 1982; Kirzner, 1982; Loasby, 1976). Ce sont avant tout par des travaux sur la monnaie que les auteurs régulationnistes affirment le caractère endogène de l’incertitude, qui condamne l’intelligibilité du monde économique à n’être que partielle (Aglietta, 1991; Aglietta et Orléan, 1982). En ce qui concerne Hayek, l’abandon de la notion d’équilibre, qui implique une intelligibilité totale du monde économique et de ses lois, ne sera que progressif et imparfait. Si l’équilibre statique est rapidement rejeté, au profit d’un équilibre inter-temporel (Hayek, 1928-1984; Hayek, 1931a et 1931b), on trouve encore en 1935 l’idée qu’une économie de troc, qui sert de référence ultime, serait complètement intelligible (Hayek, 1935). Sur ces positions là, Hayek va faire l’objet de critiques importantes. Qu’elles aient été formulées par P. Sraffa (Sraffa, 1932), H. Ellis ou N. Kaldor (Ellis, 1934; Kaldor, 1934), elles portent toutes fondamentalement sur le même point. Pour que les prévisions des acteurs soient parfaites, même avec une monnaie neutralisée, il faut que le monde « ex-post » soit identique au monde « ex-ante » du point de vue des décisions individuelles, ce qui implique en fait un univers stationnaire. Sur la base de ces critiques, l’évolution de Hayek est indubitable (Hayek, 1937; Hayek, 1941). Néanmoins, le maintien d’une référence même limitée à une fonction prospective de la notion d’équilibre introduit une tension entre le Hayek théoricien de la connaissance et le Hayek directement impliqué dans une économie opératoire (O’Driscoll et Rizzo, 1985, pp. 83-84), et aboutit à renoncer à la notion d’interaction entre les agents au niveau même de la constitution des anticipations (Richardson, 1960). Il est ainsi clair que la position des auteurs régulationnistes est bien plus proche, sur ce point, de celle des auteurs faisant le pont entre l’école neo-autrichienne et le Post-Keynesianisme, comme G.L.S. Shackle.
En ce qui concerne la seconde question, il est clair qu’il n’y a, initialement, aucune position explicite de la part des auteurs régulationnistes. Ceci est dû au double héritage de Marx et de Keynes et à une approche d’emblée macro-économique de l’économie. Le holisme, quand il est revendiqué, est rarement explicitement fondé. Et, si les régulationnistes ont lu les auteurs institutionnalistes, ils les ont lus pour l’essentiel après la constitution de leur propre courant. L’apport vient ici en premier lieu de l’École des Conventions. Dans sa déclaration de positionnement par rapport à la Théorie de la Régulation, O. Favereau délimite les champs par une double référence à la rationalité limitée et à la rationalité instrumentale (Favereau, 1993). Or cette dernière implique la monotonie et l’intégration temporelle des préférences (Parfit, 1984). Rappelons ici brièvement que, dans sa première définition publique, l’École des Conventions s’est ouvertement réclamée de l’individualisme méthodologique (Dupuy et alii, 1989), ce qui n’était pas complètement évident au départ; un auteur au moins réfutait conjointement holisme et individualisme (Thévenot, 1986). Si on fait référence aux publications plus récentes, P. Livet et L. Thévenot sont nettement plus explicites dans une définition de la rationalité qualifiée d’interprétative, et donc en nette rupture avec les définitions standards, et intégrant une large dose de collectif dans la détermination des choix individuels (Livet et Thévenot, 1995). Par contre, dans leur contribution au même ouvrage, R. Boyer et A. Orléan adoptent une vision de la genèse et de la diffusion des conventions qui s’enracine dans un spontanéisme utilitariste impliquant des hypothèses fortes, ici encore, en matière d’invariance des préférences, de leur stabilité temporelle, de leur monotonie et de leur intégration (Boyer et Orléan, 1995).
Quant aux néo-institutionnalistes, la référence explicite à l’opportunisme (seconde condition avec la rationalité limitée) a exactement les mêmes conséquences que la revendication par Favereau de la rationalité instrumentale, soit une adhésion aux hypothèses de monotonie et d’intégration temporelle en matière de structuration des préférences (Williamson, 1993). Il n’est d’ailleurs pas sur que les deux références ne soient pas contradictoires. La rationalité limitée est liée chez H.A. Simon aux limites de capacité de traitement de l’information par l’agent (Simon, 1978). Or, l’opportunisme suppose que l’agent soit à chaque instant en mesure de calculer ce qui est le plus avantageux d’une fidélité à l’organisation ou d’une défection; un tel comportement, analysé de manière réaliste, impliquerait des capacités de calcul propre à l’agent telles que l’on ne voit pas pourquoi sa rationalité serait limitée[4]. Il est clair que la vision d’une multiplicité de principes d’action chez Commons est en réalité plus rigoureuse que la position de Williamson (Ramstad, 1996). Si on prend l’oeuvre de Hayek, et en dépit de son magistral, et largement oublié, ouvrage sur la cognition (Hayek, 1952), les positions sont assez fluctuantes. Pour W. Buttos et R. Koppl, les anticipations seraient largement déterminées par le contexte, pris ici au sens d’un ensemble d’institutions; cette interprétation permet d’abandonner les hypothèses de cohérence et d’invariance des préférences et de faire dépendre les comportements du contexte (Buttos et Koppl, 1993; Koppl, 1991). Néanmoins, toute thèse supposant une convergence progressive spontanée des anticipations, dans un cadre stabilisé, doit supposer la monotonie et l’intégration temporelle des préférences.
Il est à cet égard instructif de noter que, quand Hayek a renoncé à l’idée de l’ordre constitutionnel pour régir l’économie, idée qui avait été une des bases de son œuvre de penseur politique (Hayek, 1960), il a dû supposer que les individus soient guidés par des méta-normes immanentes (Hayek, 1976; Hayek, 1979). Or non seulement ceci constitue-t-il une régression quant aux réflexions antérieures sur la connaissance, mais il est facile de montrer que l’hétérogénéité des sociétés modernes condamne radicalement à l’inexistence de telles normes (Larmore, 1987). La prise en compte de la faiblesse de l’ordre constitutionnel, du point de vue même des hypothèses hayekiennes, soit l’incapacité pour un acteur de prévoir le futur, introduit dans l’oeuvre de Hayek un revirement qui en détruit la cohérence et souligne la faiblesse de sa conception de la genèse des institutions (Bellamy, 1994). Or, on soutient ici que cette faiblesse est due à la permanence d’apories issues de la vision standard de la rationalité de l’individu, vision elle-même marquée de conceptions métaphysiques (Myrdal, 1954), héritées directement de l’économie politique classique ou il est facile de montrer que la métaphore de la « main invisible » n’est qu’une refiguration du Dieu Immanent (Perrot, 1984).

Pour ce qui est de la relation entre la conjoncture et son contexte, l’importance des formes historiques des mécanismes économiques est au cœur même de la Théorie de la Régulation. Dans l’école autrichienne les positions, par contre, sont loin d’être claires. Pour le Hayek d’avant 1935, si la conjoncture est bien déterminée par le contexte (ici monétaire), elle s’analyse aussi par rapport à une norme dégagée de ce dernier (Hayek, 1935). Inversement, dans un de ses derniers textes, Hayek souligne à la fois la multiplicité de la nature des informations, prenant ici une nette distance avec l’idée que seul compte le prix, et indique que la concurrence aboutit à des modifications dans les préférences et les comportements qui sont dictées par le contexte dans lequel cette concurrence s’exerce (Hayek, 1978). Quant aux néo-autrichiens, la référence faite dans l’ouvrage de O’Driscoll et Rizzo (1985) à la notion de « régime monétaire » telle qu’elle est présentée par A. Leijonhufvud (Leijonhufvud, 1983), revient à admettre le formulation labroussienne sur l’impact des structures sur la conjoncture. Les différentes variantes de l’approche autrichienne défendent par contre farouchement une approche spontanéiste, encore que la question de l’émergence des règles, et la place du marché dans ce contexte, pose problème chez Hayek (Bellamy, 1994; Hodgson, 1988 pp. 170-194).
Pour ce qui concerne la Théorie de la Régulation, en ce qui concerne le mode d’engendrement des contextes, les ouvrages initiaux (Aglietta, 1976; Boyer et Mistral, 1978, Lipietz, 1979) insistent longuement sur l’intervention des gouvernements, les luttes sociales, l’institutionnalisation politique des compromis. La filiation avec l’interventionnisme d’après-guerre est claire, et assumée (Lipietz, 1995). Au fil du temps, cependant, cette référence s’émousse. Dans leur analyse de l’introduction des conventions, R. Boyer et A. Orléan font une très large place à la spontanéité utilitariste des acteurs (Boyer et Orléan, 1995). Ici encore, c’est essentiellement dans le domaine monétaire que l’on retrouve une défense et illustration de l’action discrétionnaire (Aglietta, 1995), même si un article ultérieur de R. Boyer vient corriger une certaine vision angélique (la fonctionnalité de la coordination) de l’origine des institutions (Boyer, 1995c). Enfin, il faut noter que la question du contexte sépare radicalement l’institutionnalisme traditionnel du néo-institutionalisme. Comme le montre Y. Ramstad, la genèse des institutions est largement spontanée chez les néo-institutionnalistes, alors que dans la tradition de Commons, elle est toujours associée à une décision, même si le résultat final ne reflète pas les espoirs mis dans la décision (Ramstad, 1996).

Ce n’est que sur la cinquième question, celle concernant le temps, qu’il semble en apparence y avoir accord. Pour la Théorie de la Régulation, comme pour l’école autrichienne ou neo-autrichienne, on est clairement dans une conception non-newtonienne du temps (Capek, 1961), conception où l’on revendique la continuité dynamique, l’hétérogénéité et l’efficacité causale. A l’usage, ces critères se révèlent ainsi à même d’indiquer certaines différences subtiles entre les différentes approches de l’Économie Politique, et aussi en leur sein, en fonction des époques. Les comparaisons auxquelles on vient de se livrer mettent en évidence les liens existants entre les critères 1 et 3 (intelligibilité du monde économique et relation entre conjoncture et contexte) ainsi qu’entre les critères 2 et 4 (source du comportement des individus et modes d’engendrement des contextes). La juxtaposition des thèses de l’École des Conventions à celles de la Théorie de la Régulation aboutit bien à une incohérence théorique qui porte en son sein le risque d’une dilution du programme de recherches dans un syncrétisme institutionnaliste.

I.4. Le mangeur de biscottes et l’éleveur de tarakan.
Pour mieux montrer où la notion de convention, telle qu’elle est employée par certains auteurs de l’École des Conventions, est lourde de conséquences, on va ici développer certains exemples en jouant sur les différents registres invoqués en introduction.
Un premier problème surgit avec la présentation de la convention comme Dispositif Cognitif collectif à partir du cas de la biscotte à beurrer dans le film de F. Truffaud « Baisers Volés »[5]. Au premier degré, la démonstration que propose O. Favereau pour aboutir à sa notion de Dispositif Cognitif Collectif est impeccable et d’une rare force de conviction (Favereau, 1989, pp. 294-295). On est dans un jeu de coopération assez simple, le savoir (comment beurrer une biscotte sans la briser en miettes) est ici un bien collectif, et on n’a pas besoin d’épiloguer sur les raisons qui ont poussé le premier acteur à transférer son savoir au second pour imaginer la mise en place d’une chaîne de transmission de la règle « comment beurrer une biscotte ». On peut donc imaginer qu’il y eut au départ un processus d’essai et erreur, puis une suite d’imitations à permis à la communauté étendue des mangeurs de biscottes beurrées de satisfaire son goût de manière efficace.
Fort bien; mais il se trouve qu’ayant des goûts pervers (et aimant très modérément les biscottes), je me suis intéressé depuis les années 1980 à la diffusion des dispositifs tactiques dans les institutions militaires (Sapir, 1996). Un certain nombre de dispositions tactiques peuvent être assimilées à ce type de règles, comme la patrouille à 2 avions ou 2+2 (dite « Finger four », Spick, 1983) dans le domaine de la chasse, les combinaisons chars-artillerie dans différentes armées, la disposition des escadres dans le combat nocturne dans le cas de l’US Navy et de la marine impériale japonaise. A chaque fois, l’émergence de la règle fait bien l’objet d’un processus d’essai et erreur. Cependant, et ce point est d’une importance décisive, la diffusion n’est jamais spontanée même parmi les combattants de la même armée. Il faut passer par des formes de pouvoir particulières (conférences tactiques, décision de comités en charge de la doctrine tactique et autres) pour que l’on assiste à la généralisation de ce savoir[6]. En ce sens, l’adoption de règles de conduites valant convention, et qui jouent bien le rôle d’un Dispositif Cognitif Collectif peut être assimilé à un apprentissage, mais cette adoption n’est pas spontanée et au contraire délibéré. C’est une différence fondamentale avec la théorie standard des conventions.

L’existence de doctrines opérationnelles, qui varient avec les armées et les époques, et dont l’élaboration donne toujours lieu à débats, apporte une contradiction flagrante avec la notion de common knowledge (Orléan, 1994) ou celle d’une diffusion spontanée d’un DCC (Favereau, 1989). Les règles de combat, dont la diffusion est essentielle au sein de forces armées, et qui effectivement constituent des dispositifs pour économiser non point l’information mais le travail d’évaluation des paramètres d’une situation donnée (Sapir, 1996), ne peuvent se constituer en doctrine que par l’entremise d’institutions légitimantes. A cet égard, la relation d’autorité est évidemment importante, en particulier si, dans une institution hiérarchique comme le sont les armées les « expérimentateurs » ont des statuts égaux ou équivalents. La question centrale est ici que ce qui assure le succès local d’une règle de combat n’est pas nécessairement généralisable, et que les raisons de ce succès, qui doivent être connues au moins partiellement pour se livrer à cette généralisation, ne sont pas nécessairement directement intelligibles à l’expérimentateur isolé. Un bon exemple en est donné par la bataille navale du Cap Espérance (ou 2ème bataille de Savo, 11-12 octobre 1942). L’amiral américain remporta un succès sur une escadre japonaise qui eut d’autant plus de retentissement qu’il venait après une sanglante défaite subie par la marine américaine. Pourtant, la tactique employée était fondamentalement erronée comme devait l’indiquer une analyse du Naval War College. Le succès découla du fait que l’amiral japonais commis des erreurs encore plus graves. Parce que la victoire était survenue en un temps difficile pour l’US Navy, on ne discuta pas la tactique, conduisant alors à deux nouveaux désastres, dans la nuit du 13 novembre et dans la nuit du 30 novembre 1942. Ce n’est que dans la mesure ou l’expérience des combats put être traitée et analysée « à froid » lors de simulations au Naval War College (qui sont l’équivalent d’un processus d’abstraction), que de nouvelles règles de conduite purent être élaborées (Morison, 1989b).

Ce qui semble le plus gênant dans la démarche de l’École des Conventions, c’est le glissement vers des thèses « spontanéistes ». Ces dernières peuvent s’enraciner dans une vision a-historique du pourquoi de la coordination, et dans une vision purement instrumentale de la « convention » (Lewis, 1969). Elles peuvent aussi avoir pour origine une mythification du processus d’apprentissage. Du temps de l’URSS courrait une vieille plaisanterie sur Molotov et Staline. Ce dernier ayant demandé au premier une étude sur les cafards (le tarakan, personnage omniprésent de l’habitat russe et soviétique), Molotov captura une de ces pauvres bêtes, puis lui appris à sauter à son ordre. Ceci fait, il lui coupa une patte. Le tarakan sautait toujours, mais mal. Quand Molotov lui eut coupé les quatre pattes, le tarakan cessa de réagir aux ordres. Molotov put alors rédiger un rapport au Bureau Politique intitulé: « Quand on coupe les pattes du tarakan, ce dernier devient sourd ». On voit ici ce qui sépare l’éleveur de tarakan du mangeur de biscottes beurrées…
Plus sérieusement, supposer la capacité à procéder spontanément à la généralisation d’une expérience par l’expérimentateur afin d’assurer une convergence spontanée vers les « bonnes » règles, sous-entend des capacités cognitives qui ne sont pas très différentes de celles que postule la Théorie Standards pour les acteurs. L’idée d’une genèse spontanée de la convention (Salais, 1989), à partir d’une expérience faisant tache d’huile, ne nous libère donc nullement des hypothèses héroïques en matière de connaissance qui sont celles du cadre standard que, par ailleurs, on entend récuser à partir de la notion de convention.
Notes
[1] A. Vinokur (ed.), Décisions économiques , Économica, Paris, 1998.
[2] Je suis revenu sur cette notion d’hétérogénéité des agents à de nombreuses reprises, à partir des réflexions suscitées par l’écriture de ce texte, et en particulier dans l’ouvrage rédigé en russe pour le compte du Haut Collège d’Economie, K Ekonomitcheskoj teorii neodnorodnyh sistem – opyt issledovanija decentralizovannoj ekonomiki (Théorie économique des systèmes hétérogènes – Essai sur l’étude des économies décentralisées) – traduction de E.V. Vinogradova et A.A. Katchanov, Presses du Haut Collège d’Économie, Moscou, 2001.
[3] Cette définition est différente de celle employée dans Villeval (1995).
[4] Supposons qu’un individu puisse obéir à deux modèles de comportement; son comportement peut être régi par des normes ou par le calcul. Si son comportement est régi par des normes, il n’est pas opportuniste mais il réagit vis-à-vis de l’organisation en fonction du respect qu’il perçoit par rapport aux normes qui le guident. Si son comportement est régi par le calcul, mais que l’on maintienne l’hypothèse d’une capacité cognitive limitée, il peut être « sage » (le sage connaît ses limites…) ou « fou ». S’il est « fou », il croit pouvoir tout calculer et se trompe en conséquence. il fera deféction quand il devrait être fidèle et inversement. Il n’est pas opportuniste mais imprévisible. Si il est « sage », connaissant ses limites, il se fixe des règles heuristiques. En deça il ne calcule pas, et donc se comporte comme si son comportement était régi par des normes et non par le calcul. L’organisation n’est pas menacée d’une défection permanente, mais le devient uniquement si le seuil déterminé par la règle heuristique est franchi. Ceci revient à un comportement fondé sur les normes. L’opportunisme de l’agent face à son principal ou à l’organisation est donc une hypothèse contradictoire à celle de la rationalité limitée.
[5] Et oui, les économistes peuvent être cinéphiles…
[6] Pour ce qui concerne l’aviation, et en particulier la chasse, (Spick, 1983); une étude sur le développement de la chasse de nuit montre, dans le cas allemand, l’importance des niveaux supérieurs de la hiérarchie, jusqu’au moment où la dimension politique de l’hitlérisme l’emporte (Cuny, 1980). En ce qui concerne les opérations navales, le rôle du commandement et du Naval War College dans la diffusion et la consolidation des innovations tactiques est particulièrement attesté pour ce qui concerne les forces navales américaines entre 1941 et 1945 (Morison, 1989a, 1989b; Friedman, 1985)

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